Freinez le changement pour mieux l’accélérer !

 

Si vous êtes soucieux de la qualité des relations humaines au sein de votre organisation, en cas de transformation difficile, freiner le changement est probablement une position stratégique à tenir pour l’accélérer.

Trop chercher à convaincre de l’intérêt d’un changement est une manière d’encourager les résistances.

Si la plupart du temps les démarches d’accompagnement au changement se déroulent dans de bonnes conditions, parce que le sens est donné, le changement est compris ; il existe des situations où cela ne se passe pas bien en dépit des efforts de préparation et d’accompagnement. L’énergie mise à chercher à convaincre de l’intérêt des changements se révèle inefficace au mieux, contre productive au pire. Notre lecture interactionnelle de ce genre de blocage, nous fait dire qu’il existe dans ces situations particulières un déséquilibre relationnel non perçu, non pris en compte par les promoteurs du changement : “les commanditaires font trop d’efforts pour convaincre les autres parties prenantes et ne travaillent pas suffisamment avec les résistances qui s’expriment”. Nous pouvons dire que la dynamique des relations en cours ne se fonde pas sur  des efforts de changement répartis équitablement.  Les commanditaires travaillent trop fort à convaincre pour que les transformations se déroulent dans de bonnes conditions.

La multiplication des efforts mis à convaincre doit être pour les promoteurs un bon indicateur de la nécessité de procéder différemment. Plutôt que de chercher à accélérer le rythme de la transformation, paradoxalement freiner le changement devient une meilleure manière, dans ces conditions, de faciliter les évolutions espérées. Les indications qui suivent ne peuvent convenir que dans des situations de fortes résistances au changement dans lesquelles les transformations ne peuvent être imposées mais doivent résulter d’un accord en commun.

Expliquer et travailler sur les inconvénients du changement, facilite la co-construction

Une première démarche de freinage consiste à renoncer à convaincre et se limiter à expliquer les transformations qui vont être menées. Convaincre c’est “vendre” les avantages des changements, c’est mettre en avant un futur meilleur, mais pour qui ? Expliquer consiste à indiquer de la manière la plus concrète et détaillée ce qui va changer, ce qui va disparaître, ce qui va exister de nouveau, qui fera quoi, quels seront les nouveaux process … et vérifier la compréhension de ces explications ; (pas l’accord avec les explications (ou le projet) mais la compréhension).

Au delà de cette première phase, il s’agit de travailler sur les inconvénients du changement. Cela consiste à interroger, pour la réussite des évolutions, toutes les personnes concernées, sur les difficultés de toutes natures que va leur poser la mise en place des transformations. Par cette action, les commanditaires impliquent les personnes concernées, au travers de leur contribution, à l’identification des potentiels points d’achoppement. Ce qui est habituellement perçue comme une critique est ici recadré comme une démarche de contribution fructueuse. Ne cherchant plus à convaincre, les promoteurs des transformations sont de facto placés dans une position d’écoute qualitative. Ils sont disponibles pour poser des questions d’éclaircissement, découvrir des limites pertinentes de ce qu’ils proposent et plus à même d’enrichir la qualité des transformations à mener.

La plupart du temps, au cours de nos interventions, nous observons qu’il n’est nullement besoin de répondre à l’ensemble des inconvénients identifiés pour que le projet rencontre un large accord. Selon notre expérience, l’intérêt de cette façon de procéder agit sur la dynamique interactionnelle entre les parties prenantes. Il équilibre leur engagement dans la conduite des changements envisagés. Cette pratique alimente la perception d’une relation de co-construction des transformations à mener.

Favoriser des effets d’entraînement plutôt que chercher à réaliser des objectifs inatteignables.

Dans le sens commun des pratiques de conduite du changement, ceux sont généralement des objectifs ambitieux de changement qui sont affichés. Malheureusement, il peut arriver que finalement les objectifs concrètement atteints sont en décalage significatif avec ceux obtenus. Certaines personnes pouvant dire de manière moqueuse que : “finalement, la montagne a accouché d’une souris”.

Du point de vue de l’approche interactionnelle de Palo Alto, notre travail suit une direction plus inhabituelle et souvent paradoxale en regard de pratiques récurrentes dans le monde du travail.

Pour nous qui intervenons avec ce modèle, une autre manière de freiner le changement pour mieux l’accélérer consiste, plutôt, à chercher à atteindre des premiers signes de changement, des objectifs minimum qui donnent envie d’en atteindre de plus ambitieux, progressivement par effet d’entraînement.

L’année dernière, nous sommes intervenus au sein d’un ensemble de transport public pour y faciliter la coopération entre des entités de productions pris dans d’importants antagonismes mais devant nécessairement coopérer. Stratégiquement, nous nous sommes astreints à les limiter dans leur velléité de transformation afin d’éviter les déceptions. Finalement en 10 mois, une collaboration plus fructueuse a pu naitre dans cet ensemble complexe.

Le premier objectif atteint fît exister un journal de liaison afin de mieux se connaître ; le second, plus impactant pour l’exploitation quotidienne, se concrétisa par la mise en place et la participation récurrente des trois entités, ce qui n’avait jamais eu lieu,  à une réunion hebdomadaire d’analyse des faits marquants d’exploitation  ; le troisième, encore plus ambitieux, permis la définition d’objectifs commun de production alors que chaque entité devait rendre des comptes à une même autorité organisatrice selon des objectifs contradictoires à forts enjeux financiers.

Pour conclure, la conduite de transformations se révèle être un travail complexe dans un contexte d’accélérations continues car plus on veut la mener rapidement plus on prend le risque d’en rester aux habitudes de fonctionnement : les systèmes résistent facilement aux discours qui prônent le changement mais ne le voit pas s’incarner dans des pratiques quotidiennes. En revanche, un travail, patient, tenace et progressif, qui se concrétise par de réelles modifications d’habitudes (des différences qui font des différences, comme l’a tant souligné Gregory Bateson), alimente un haut niveau de transformations,  souvent plus qu’espéré.

Olivier Millet