On préfère des actions illogiques qui fonctionnent que des actions logiques qui ne fonctionnent pas

On préfère des actions illogiques qui fonctionnent que des actions logiques qui ne fonctionnent pas - Olivier Millet - Spécialiste Palo Alto - Interaction et changement

Une clé de lecture interactionnelle du changement

Dans les organisations, lorsqu’une situation se bloque, la première réaction consiste souvent à chercher une explication rationnelle. On mobilise l’analyse, la logique, la recherche de causes, la modélisation. L’illusion sous-jacente est simple : si l’on comprend pourquoi cela dysfonctionne, on pourra agir de manière cohérente et le système changera. Pourtant, quiconque travaille depuis un certain temps avec des équipes ou des collectifs sait à quel point la réalité humaine déjoue cette promesse. Les solutions logiques ne manquent jamais. Ce qui manque, c’est le mouvement. Et c’est précisément ce que rappelle cette phrase paradoxale, à la fois drôle, déstabilisante et étrangement juste : «On préfère des actions illogiques qui fonctionnent que des actions logiques qui ne fonctionnent pas.»

Quand la logique reste impuissante…

Cette idée, totalement contre-intuitive, entre en résonance avec ce que l’on observe quotidiennement dans les organisations. Les plans rationnels sont rassurants : ils donnent l’impression de maîtriser la situation, d’avancer selon une cohérence intellectuelle, de pouvoir dérouler un raisonnement qui devrait, en théorie, produire un résultat. Pourtant, lorsque les relations se figent ou que les résistances apparaissent, la logique reste souvent impuissante. Elle explique, mais elle transforme peu. Elle rassure, mais elle débloque rarement. Le vivant ne suit pas la logique : il suit ses équilibres, ses tensions, ses ajustements, ses peurs, ses croyances, ses habitudes, ses sécurités invisibles.

Et si les actions logiques faisaient partie du problème…

Dans l’approche interactionnelle et stratégique de Palo Alto, le critère d’efficacité n’est jamais la cohérence théorique de la solution, mais la manière dont elle modifie la boucle des tentatives de solution. Autrement dit, ce qui compte n’est pas si l’action est « logique », mais si elle déplace réellement la dynamique relationnelle qui entretient le problème. Une situation qui se répète n’est pas simplement la conséquence d’une cause, mais le produit d’ajustements successifs qui, paradoxalement, maintiennent ce que l’on cherche à réduire. De nombreuses équipes s’épuisent ainsi à répéter des stratégies totalement cohérentes… mais parfaitement inefficaces. Elles insistent, expliquent, relancent, cadrent, réorganisent, communiquent, évaluent, forment, structurent, sans voir que ces actions logiques constituent déjà une partie du problème. Je vous propose de lire ou relire mon article «Toujours plus de la même chose qui ne fonctionne pas transforme une difficulté en un problème.»

La puissance de l’inattendu

Pour créer du mouvement, il faut parfois prendre un chemin inattendu : ralentir au lieu d’accélérer, cesser d’insister pour permettre à l’autre de bouger, reconnaître une position que l’on combat depuis des mois afin de relâcher une tension invisible, déplacer le cadre plutôt que tenter de résoudre le contenu, transformer l’histoire racontée pour libérer les interactions. Ces gestes-là, vus de l’extérieur, peuvent sembler illogiques, voire contre-productifs. Pourtant, ils sont souvent les seuls qui parlent réellement au système. Ils interviennent précisément à l’endroit où les tentatives de solution s’enferment, là où le sens se rigidifie, là où chacun répète la même danse relationnelle en espérant un résultat différent.

Un changement de regard

L’action illogique n’est pas irrationnelle. Elle devient cohérente lorsqu’on adopte la logique interne du système, et non la logique externe du raisonnable. Elle s’ancre dans ce qui fait bouger les personnes en situation réelle, dans le langage qu’elles utilisent, dans les émotions qu’elles tentent de contenir, dans les ajustements protecteurs qu’elles mettent en place pour tenir debout. Ce qui paraît illogique depuis une vision analytique devient d’une clarté limpide lorsque l’on observe les interactions plutôt que les individus. C’est le paradoxe de cette approche : ce qui fonctionne n’est pas toujours ce qui semble logique, mais ce qui s’inscrit avec finesse dans la dynamique du moment.

Une posture spécifique pour une approche responsabilisante, non normative et non pathologisante

Cette manière d’intervenir demande une posture très particulière. Elle s’enracine dans une position basse sur la relation, une clarté solide sur le cadre, une attention fine aux micro-variations dans la manière dont chacun se positionne. Elle est non normative et non pathologisante : l’accompagnant ne cherche pas à corriger ou à amener les personnes vers ce qu’il considérerait comme « le bon sens ». Elle est aussi profondément responsabilisante : dans cette tradition, on ne veut jamais plus le changement que les personnes concernées. L’enjeu n’est pas de pousser un système à bouger, mais de créer les conditions dans lesquelles il peut expérimenter autre chose. Cette posture exige également une conscience aiguë de sa propre expérience subjective : ce que je perçois, ce que cela déclenche en moi, ce que je projette, ce que je raconte intérieurement. Sans cette vigilance, l’« action illogique » risque de devenir un acte impulsif ou défensif, détaché du mouvement réel du système.

L’art du plus petit changement possible…

Ce cadre interactionnel invite à un renversement profond : c’est moins la vérité d’un raisonnement qui transforme, que la pertinence d’un geste. Le vivant se déplace lorsque l’on introduit un peu de jeu, au sens mécanique du terme : un espace où la rigidité cède, où un élément peut bouger sans que tout s’effondre. C’est souvent un geste minuscule qui permet cette respiration : une prise en compte inattendue, une reconnaissance implicite, une façon différente de ponctuer la situation, un silence opportun, une hypothèse proposée avec délicatesse, un changement de rythme. Rien de grandiose. Rien de spectaculaire. Juste un ajustement qui change la danse. Je vous invite à lire également l’article suivant sur le sujet : «A la recherche de la différence qui fait la différence.»  

C’est ce que dit cette phrase paradoxale, et c’est ce qu’elle montre : la logique ne suffit pas à transformer un système vivant. Ce qui transforme, c’est la capacité à intervenir avec justesse, à se laisser surprendre, à essayer quelque chose d’inattendu, à ne pas s’enfermer dans les solutions qui « devraient » fonctionner. Le vrai mouvement commence lorsque l’on accepte que, dans les systèmes humains, la cohérence vient après, jamais avant.

Cette idée fait souvent sourire, mais elle décrit avec beaucoup de finesse ce que les organisations traversent quotidiennement. Elle nous invite à déplacer notre regard : moins d’explications, davantage de curiosité ; moins de contrôle, davantage de présence ; moins d’outils, davantage de gestes ajustés. Un système n’a pas besoin d’une solution logique. Il a besoin qu’on l’aide à faire quelque chose de différent.

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Olivier